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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/216

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Tu vois bien ce monsieur-là ?

Et il me montrait au postillon.

— Oui-da, je le vois tout de même.

— Eh bien, il vient de tuer le père Levasseur.

— Comment cela ? dit le postillon tout abasourdi.

— D’un coup de pistolet.

— Et à quel propos ?

— Parce qu’il n’allait pas ventre à terre… Ainsi, prends garde à toi, Jean-Louis.

— C’est vrai ça ? dit le postillon pâlissant.

— Tu vois bien, puisque monsieur conduisait lui-même, et que voilà le fouet et les bottes du défunt.

Jean-Louis jeta un coup d’œil terrifié sur le fouet et les bottes, et sans dire une parole, il partit au triple galop.

— Oh ! mes pauves chevaux, nous cria Labbé, ils vont en voir de dures !…

En moins d’une heure, nous fûmes à Villers-Cotterets. C’est là qu’une véritable ovation m’attendait.

En effet, à peine eus-je jeté mon nom à la première personne de connaissance que je rencontrai, que la nouvelle de mon arrivée en poste, dans un cabriolet surmonté d’un drapeau tricolore, parcourut la ville aussi rapidement que si elle eût été portée sur les fils d’un télégraphe électrique.

À cette nouvelle, les maisons rejetèrent les vivants avec autant d’ensemble qu’au bruit de la trompette du jugement dernier les tombeaux rejetteront les morts.

Tous ces vivants coururent à la poste, et arrivèrent en même temps que moi.

Il fallut une longue explication pour tout faire comprendre. Pourquoi ce costume ? pourquoi ce fusil ? pourquoi ces coups de soleil ? pourquoi ce cabriolet ? pourquoi ce drapeau tricolore ? pourquoi Bard ? pourquoi Cartier ?

Chacun, dans ce cher pays, m’aimait assez pour avoir le droit de m’adresser sa question.

Je répondis à toutes.

Les explications données, il n’y eut qu’un cri :

— Ne va pas à Soissons ! Soissons est une ville de royalistes !