Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Les pistolets furent éventés, chargés et amorcés avec le plus grand soin. On eût dit les préparatifs d’un duel.

Puis on but une dernière fois à la réussite de l’entreprise ; puis on s’embrassa plutôt deux fois qu’une ; puis nous montâmes en cabriolet, Hutin, Bard et moi ; puis le postillon enfourcha ses chevaux ; puis, enfin, au milieu des cris d’adieu et des vivats d’encouragement de mes bons et chers amis, nous prîmes au grand galop la route de Soissons.

Deux heures après notre sortie de Villers-Cotterets, la porte de Soissons s’ouvrait à la voix et au nom d’Hutin, et le portier nous introduisait dans la ville, sans se douter qu’il venait de laisser passer la Révolution.


CLV


Arrivée à Soissons. — Apprêts stratégiques. — Reconnaissance autour de la poudrière. — Hutin et Bard plantent le drapeau tricolore sur la cathédrale. — J’escalade le mur de la poudrière. — Le capitaine Mollard. — Le sergent Ragon. — Le lieutenant-colonel d’Orcourt. — Pourparlers avec eux. — Ils me promettent leur neutralité.

Après plus de vingt ans écoulés, nous hésitons presque à écrire ce qui va suivre, tant le récit nous en paraît incroyable à nous-mêmes ; mais nous renverrons ceux qui douteraient au Moniteur du 9 août, contenant le rapport officiel qu’y fit insérer le général la Fayette, afin que les intéressés pussent réclamer ou démentir, s’il y avait lieu.

Personne ne réclama, personne ne démentit.

À minuit, nous frappions à grands coups à la porte de madame Hutin la mère, qui nous reçut avec des cris de joie, ne se doutant pas plus que le portier de ce que contenait le cabriolet à la Congrève qu’elle ordonnait de remiser dans sa cour.

C’était le lendemain jour de marché ; il s’agissait de confectionner un gigantesque drapeau tricolore, et de le substituer au drapeau blanc qui flottait sur la cathédrale.