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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/24

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

domicile par la rue de la Chaussée-d’Antin, ce domicile fût-il la barrière du Maine.

Cette persécution dura plus de trois mois.

Au bout de ce temps, comme un nouveau visage se présentait pour faire la demande accoutumée, la femme Pipelet, tout en pleurs, se présenta au vasistas, et annonça que son mari, succombant à l’obsession, venait d’être conduit à l’hôpital sous le coup d’une fièvre cérébrale.

Le malheureux avait le délire, et, dans son délire, ne cessait de répéter avec rage le refrain infernal qui lui coûtait la raison et la santé.

Voilà la vérité sur cette grande persécution des Pipelets, qui a fait tant de bruit pendant les années 1829 et 1830.

Revenons à Christine.

La pièce, rendue par la censure, était répétée avec acharnement. Le romantisme, qui s’était emparé du Théâtre-Français, venait de franchir la Seine, avait tourné l’Académie comme une de ces forteresses que les grands généraux dédaignent d’attaquer dans les guerres d’invasion, et menaçait d’emporter l’Odéon d’assaut.

Cela faisait révolution au quartier Latin.

Harel, pour donner, du reste, plus de solennité à la prochaine représentation, faisait des relâches multipliés, ce qui était, à cette époque, un moyen de publicité, une façon de réclame encore inconnue.

Le matin de la répétition générale, je reçus un mot de Soulié ; c’était — à part la petite correspondance qu’on a lue, et l’envoi des places pour Romeo et Juliette, — le seul signe de vie qu’il m’eût donné depuis un an.

Soulié me demandait un laissez-passer pour cette répétition.

Je m’empressai d’envoyer ce laissez-passer pour lui et les personnes qui voudraient l’accompagner.

Le soir, la répétition eut lieu.

Les répétitions générales de cette époque, c’étaient des représentations réelles. Les amis n’étaient pas encore blasés ; le succès ne les avait pas encore rendus indifférents ou jaloux ;