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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Personne ne nous fit obstacle ; quelques cris patriotiques retentirent même derrière nous.

Il fallait savoir gré à la population de pousser ces cris, quelque rares qu’ils fussent, car, en vérité, en 1830, on ne savait quels cris pousser.

L’endroit dangereux, à franchir était la porte de la ville. Une fois que nous serions engagés sous la porte, la herse pouvait tomber devant nous, tandis qu’on nous attaquerait par les deux corps de garde.

Ces Thermopyles furent dépassées sans accident, et nous nous trouvâmes de l’autre côté de la muraille, et en rase campagne.

Nos hommes nous attendaient à cinquante pas de la porte.

Alors, seulement, je l’avoue, je respirai à pleine poitrine.

— Sacrebleu ! mon cher ami, dis-je à Hutin, rentrez donc dans la ville, et faites-nous venir une vingtaine de bouteilles de vin, afin que nous buvions à la santé du général la Fayette… Nous l’avons bien gagné !

Un quart d’heure après, nous levions nos verres, et nous buvions à la santé du général, toast que nous renvoyèrent en acclamations les habitants de la ville qui, pour assister à notre départ, encombraient les murailles.

Les vingt bouteilles vidées, nous nous remîmes en route.

À la Verte-Feuille, c’est-à-dire à moitié chemin de Soissons à Villers-Cotterets, je laissai le cheval de Moreau chez le maître de poste ; il m’eût été impossible de rester en selle dix minutes de plus : je tombais de fatigue.

Tandis qu’on mettait quatre chevaux de poste à la charrette, — car je commençais à m’apercevoir qu’avec les chevaux du voiturier nous n’arriverions jamais, — je me couchai au bord d’un fossé, et je m’endormis si profondément, qu’on eut toutes les peines du monde à me réveiller au moment du départ.

Moreau, alors, reprit son cheval ; il voulait nous accompagner jusqu’à Villers-Cotterets. Je montai à sa place dans le cabriolet, et à peine y étais-je installé, que je m’endormis de nouveau.