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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/253

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

D’où venait cette absence de Laffitte ?

Des douleurs que lui causait sa foulure, répondait-on à ceux qui s’enquéraient.

Le fait est que Laffitte, poussé par Béranger, faisait un roi.

M. Thiers jeta les hauts cris : on l’oubliait, disait-il.

Béranger lui rit au nez, de ce sourire qui n’appartient qu’à l’auteur du Dieu des bonnes gens.

— Pourquoi diable voulez-vous qu’on n’oublie pas les absents ? lui dit-il.

Et, en effet, depuis quatre heures, M. Thiers était absent du salon de Laffitte ; quatre heures, en révolution, c’est quatre années ! En quatre heures, un monde disparaît, un monde se reforme.

M. Thiers alla trouver M. Sébastiani et se fit donner un programme. Chacun voulait apporter son moellon à l’édifice de la royauté nouvelle. Scheffer, le peintre, artiste d’un immense mérite et homme d’une grande valeur, ami du duc d’Orléans, presque commensal de sa maison, se disposait à partir pour Neuilly, envoyé par la commission municipale. M. Thiers s’accrocha à Scheffer, et partit avec lui.

La route de Neuilly était coupée par un régiment de la garde.

— Diable ! dit Thiers, s’ils allaient nous arrêter et trouver le programme…

— Donnez-le-moi, dit Scheffer.

Et il prit le programme des mains de Thiers, le réduisit en un volume aussi mince que possible, et le glissa dans le creux de sa main gauche par l’ouverture de son gant.

On arriva sans accident à Neuilly.

Mais le duc d’Orléans, à Neuilly, se trouvait trop rapproché des troupes royales ; il s’était retiré au Raincy, après avoir dicté la fameuse note à Oudard, et ce fut avec le Raincy que Laffitte correspondit pendant la journée du 30.

Les deux négociateurs ne trouvèrent donc à Neuilly que la duchesse et madame Adélaïde.

Louis Blanc, admirablement renseigné sur ce point, a très-exactement raconté cette scène ; nous renverrons donc à lui