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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/285

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En effet, ce n’était plus qu’avec difficulté que les républicains pénétraient près du bon vieux général, et à peine l’un ou l’autre de ceux qui étaient connus pour professer cette opinion, — et ils pouvaient être facilement connus, car ceux qui professaient cette opinion étaient encore rares à l’époque dont nous parlons, — à peine l’un ou l’autre était-il près de lui, que l’on entrait, et que, sous vingt prétextes différents, on coupait ou épiait là conversation.

Voilà l’homme sur lequel il fallait agir ; c’était facile au duc d’Orléans, prince, lorsqu’il le voulait, d’un esprit caressant et séducteur.

Et, cependant, le futur roi désira être accompagné d’une députation de la Chambre. La Chambre eût envoyé plutôt deux députations qu’une ; la Chambre, si le duc d’Orléans en eût manifesté le désir, se fût mise tout entière à la queue du cortège.

À l’heure convenue, M. Laffitte amena la députation au Palais-Royal.

On partit. La situation était plus grave encore qu’elle ne le paraissait ; il est vrai que, sous couleur de différentes missions, on avait éloigné de Paris les républicains les plus ardents ; mais il en restait encore bon nombre, et ceux-là disaient tout haut que le nouvel élu n’arriverait pas jusqu’à l’hôtel de ville.

Le duc d’Orléans était à cheval, inquiet, sans doute, au fond du cœur, mais calme en apparence.

C’était une des grandes qualités du prince : craintif, irrésolu tant qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait pas vu le danger ; une fois qu’il se trouvait en face de lui, il l’accueillait bien. Il n’eût pas pu dire, comme César : « Le danger et moi sommes deux lions nés le même jour, et je suis l’aîné ! » mais il eût pu dire qu’il était le cadet.

M. Laffitte suivait dans une chaise portée par des Savoyards ; son pied le faisait toujours horriblement souffrir ; il était chaussé de pantoufles, et avait, sauf les bandages qui l’entouraient, une jambe nue.

Aussi, après avoir offert la couronne au prince, comme