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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/306

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NOTES

mandions pour une affaire importante. J’ai attaqué assez vivement M. Casimir Périer pour avoir le droit de lui rendre justice. Il n’a jamais eu à nous refuser, et nous n’avons jamais eu à lui demander ni deux millions ni aucune autre somme. Les caisses de l’État étaient à notre disposition, et elles étaient pleines. Nous avions notamment sous nos mains celle de l’hôtel de ville, qui contenait de dix à douze millions. C’est sur cette dernière caisse que nous avons fait nos dépenses. Elles ont été arrêtées à cinquante-trois mille francs, par la cour des comptes, qui a proposé de laisser cette somme à notre charge.

» La révolution de juillet n’a été l’œuvre ni de quelques hommes ni d’un parti ; elle est sortie du soulèvement de la France entière, indignée d’un parjure et encore blessée des humiliations de 1815. Comment cette unanimité si noble et si pure a-t-elle été remplacée, peu de temps après, par des haines de parti et par des scènes de troubles et de désordre ? Le gouvernement n’a-t-il pas contribué lui-même à cette transformation ? Quel a été son but ? Quels ont été ses hommes ? Quelles ont été les fautes des partis, les erreurs et les faiblesses des hommes ? Voilà ce que l’histoire doit rechercher et enseigner. Les mémoires privés peuvent certainement lui être utiles, mais sous une condition, c’est qu’ils apporteront la vérité.

» Dans le mouvement de réaction qui a succédé si promptement aux trois journées, les membres de la commission, rendus entièrement à leurs fonctions législatives ; ont presque tous suivi des routes différentes. On peut les juger diversement : la vie d’un homme public appartient au public. Mais ils peuvent aussi se rendre intérieurement ce témoignage que, pendant leur courte existence comme gouvernement, et tandis qu’ils étaient à l’hôtel de ville, ils ont rendu quelques services au pays. Nul ne saurait se représenter l’état de trouble et de confusion où était Paris le 29 juillet. Les rues, les boulevards étaient couverts de barricades dont celles de 1848 n’ont point donné l’idée. La circulation des piétons en était gênée, celle des voitures impossible, et il ne fallait pas penser à les détruire, car aux portes de la ville était une armée, et cette armée pouvait reprendre l’offensive. Toute la population était sur pied. Parmi les combattants, il y avait un grand nombre de blessés qui réclamaient des secours. Il y avait aussi un grand nombre d’hommes qui, sous les armes depuis plus de soixante heures, manquaient de subsistances. Nous leur envoyâmes de l’argent, et ils le refusèrent. « Nous nous sommes battus pour la patrie, » disaient-ils : « elle nous doit du pain, non de l’argent. » Or, il n’y avait point de magasins, point de rations préparées. À chaque instant arrivaient des soldats, des compagnies entières qui abandonnaient la cause de Charles X : c’était