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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/39

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’oublier, se souvient ; c’est à nous de vous faire revivre, ô nos frères ! ô nos sœurs ! tels que vous étiez, et, s’il est possible, plus grands encore, plus beaux encore que vous n’étiez !

Quand j’ai commencé ce livre, croyez-vous, vous qui me lisez, que ç’ait été dans le but égoïste de dire éternellement moi ? Non, je l’ai pris comme un cadre immense pour vous y faire entrer tous, frères et sœurs en art, pères ou enfants du siècle, grands esprits, corps charmants, dont j’ai touché les mains, les joues, les lèvres ; vous qui m’avez aimé, et que j’ai aimés ; vous qui avez été ou qui êtes encore la splendeur de notre époque ; vous-mêmes qui m’êtes restés inconnus ; vous-mêmes qui m’avez haï ! Les Mémoires d’Alexandre Dumas ! mais c’eût été ridicule ! Qu’ai-je donc été par moi-même, individu isolé, atome perdu, grain de poussière emporté dans tous les tourbillons ? Rien ! Mais, en m’adjoignant à vous, en pressant de la main gauche la main droite d’un artiste, de la main droite la main gauche d’un prince, je deviens un des anneaux de la chaîne d’or qui relie le passé à l’avenir. Non, ce ne sont pas mes Mémoires que j’écris ; ce sont les Mémoires de tous ceux que j’ai connus, et, comme j’ai connu tout ce qui était grand, tout ce qui était illustre en France, ce que j’écris, ce sont les Mémoires de la France.

Je passai une bonne partie de ma soirée à apprendre à madame Malibran comment on mettait un turban d’Arnaute, et, le lendemain, Zucchelli jouait Othello, coiffé comme je l’étais la veille.

Madame Malibran avait eu raison : sans doute, la coiffure d’Othello lui avait monté la tête ; jamais elle n’avait été si belle, si grande, si sublime !

Au revoir, Marie ! — car, vous aussi, vous vous appeliez Marie, comme Marie Dorval, comme Marie Pleyel… Au revoir ! je vous retrouverai à Naples !