Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il était cinq heures de l’après-midi, à peu près.

Rochefort — un de mes amis, garçon d’esprit, qui a fait quelques pièces originales, entre autres Jocko ; plus, de charmantes chansons, — prenait un verre d’absinthe à une des tables du café.

En m’apercevant, il se leva.

— Ah ! me dit-il en tourmentant son nez, selon son habitude, ce pauvre Signol !…

— Eh bien ?

— Eh bien, il vient d’être tué !

Je poussai un soupir, quoique, au fond, il ne m’apprît rien de nouveau ; mes pressentiments m’avaient déjà dit ce que Rochefort m’apprenait.

Voici comment les choses s’étaient passées :

En me quittant l’avant-veille, Signol était allé chercher sa stalle au Théatre-Italien. Le malheur avait voulu qu’on la lui donnât.

C’était une stalle d’orchestre.

Un autre malheur voulut que ce fussent un officier et des soldats du 3e régiment de la garde qui se trouvassent, ce soir-là, de service aux Italiens.

Une stalle était vide devant Signol.

À la fin du premier acte, un officier vint s’y asseoir.

C’était le fils du général Marulaz, aujourd’hui général lui-même ; à ce que je crois.

Ce n’était pas son tour de service : il remplaçait un de ses amis ; cet ami avait un rendez-vous, — voyez l’étrange enchaînement de circonstances ! — il vint prier Marulaz de vouloir bien le suppléer, et Marulaz y consentit.

À peine celui-ci avait-il eu le temps de s’asseoir, qu’il sentit deux mains s’appuyer sur le dossier de sa stalle.

Il pensa qu’il n’y avait là, sans doute, aucune mauvaise intention ; aussi ne s’en plaignit-il pas d’abord ; mais, les deux mains ne se retirant pas au bout de dix minutes, il se retourna.

Ces deux mains étaient celles de Signol.

Marulaz, avec politesse, fit observer à Signol que la place