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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/67

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nement une médaille que je lui ai vu porter quelquefois. Cette médaille fut pour les railleurs la source d’une foule de lazzi que la réputation de bravoure bien connue de Karr maintint toujours, il est vrai, dans les bornes du convenable, mais qui ne s’épuisa jamais. Pour la fameuse médaille, il n’y a point prescription, et je ne sais ce que je lisais encore hier à ce propos dans une petite feuille politico-littéraire.

Un jour, à un grand dîner auquel j’assistais et où se trouvaient une foule de gens décorés, non pas d’une médaille quelconque, mais de la croix de la Légion d’honneur, bien autrement répandue, bien autrement prodiguée aujourd’hui que toutes les médailles du monde, ces plaisanteries contre Karr, qui était un de nos convives, se renouvelèrent. Karr, avec son calme ou plutôt son flegme habituel, appela le garçon, demanda une plume, de l’encre et du papier, découpa le papier en autant de fragments arrondis qu’il y avait de décorés à table, écrivit sur chaque fragment la cause pour laquelle chacun avait été décoré, et fit passer chaque fragment à son adresse.

Cela calma les rieurs.

Karr est né en Allemagne, en décembre 1808, et, depuis 1848 seulement, il est naturalisé Français. Son père était un des cinq ou six musiciens allemands qui, du clavecin, ont fait le piano. Trois de ses oncles sont morts capitaines au service de la France. Il était, en outre, neveu du baron Heurteloup et cousin d’Habeneck.

À cette époque, Karr ne faisait aucun article politique dans le Figaro. Plus d’une fois il m’a dit très-sérieusement avoir vu passer devant lui la révolution de juillet, et même celle de février, sans savoir de quoi il s’agissait. Depuis, il a fort étudié et fort compris les révolutions ; car, en 1848, et à propos d’elles, il écrivait : « Plus cela change, plus c’est la même chose ! »

En 1829, il était professeur au collège Bourbon, et faisait des vers ; il en envoya au Figaro ; ce fut Bohain qui les reçut. — Bohain était un de ces hommes francs qui professent un majestueux dédain pour la poésie.