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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/69

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Alphonse Karr, — il y a une promenade publique appelée ainsi.

L’auteur avait mis pour épigraphes, en tête des chapitres ou des lettres, des vers de lui, sans doute ceux qu’avait refusés Bohain ; mais il avait cru devoir les décorer des noms de Schiller, de Goethe, d’Uhland ; la critique y fut prise ; elle exalta les vers aux dépens de la prose ! Prose et vers étaient d’Alphonse Karr ! Bien plus : une grande, partie des lettres que renferme le roman avaient été, en réalité, écrites à une jeune fille dont Karr avait été très-amoureux.

Karr ne fut décoré qu’en 1845 ou 1846. Un jour, il fut averti par Cavé qu’il était question de donner la croix à son père ou à lui.

La croix avait été promise à son père par Marie-Louise, et son père l’attendait encore en 1840.

Karr alla trouver M. Duchâàtel, et, s’étant assuré que Cavé lui avait dit vrai :

— Monsieur, dit-il au ministre, quand un fils et un père se trouvent dans les conditions de la croix, le fils ne l’accepte pas avant son père.

M. Duchâtel se contenta de décorer le père : il fallait décorer le père et le fils.

Son père mort, Karr fut décoré à son tour ; il prit à la boutonnière de l’habit du mort le dernier ruban qu’il avait porté, et le mit à la sienne.

Au commencement du mois de juillet 1830, je rencontrai dans la rue Alphonse Karr donnant le bras à Brucker ; — Brucker, peintre sur porcelaine, était un des esprits les plus originaux du journalisme de 1830 ; — je rencontrai, dis-je, Karr au bras de Brucker, juste au moment où l’on tirait le premier des cent coups de canon qui annonçaient la prise d’Alger.

— Tiens ! demanda Karr, qu’est-ce que cela ? On dirait le canon.

— C’est sans doute Alger qui est prise, répondis-je.

— Bah ! on l’assiégeait donc ? reprit Karr.

Alger était prise, en effet ; son surnom de la Guerrière ne