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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/94

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Or, ces quarante-cinq personnes formaient, en même temps, un corps compacte agissant sur la masse, et quarante-cinq forces isolées agissant sur les individus. Chaque, signataire était un centre possédant à sa circonférence plus ou moins étendue un nombre plus ou moins nombreux d’amis, d’employés, de commis, d’ouvriers, de compositeurs, de garçons imprimeurs, etc. Chacun avait mis en mouvement son entourage ; or, chaque individu de cet entourage, si infime qu’il fût, était agent lui-même, et opérait sur des individus inférieurs à lui ; il en résultait que l’impulsion, une fois donnée, s’était communiquée des grands centres aux petits, que l’engrenage marchait, et que l’on sentait trembler la société sous le clapotement d’une machine invisible, à peu près comme on sent trembler le moulin sous la rotation de ses ailes, le bateau à vapeur sous le battement de ses roues.

Carrel était invité à trois réunions différentes, toutes ayant pour but d’organiser la résistance.

L’une, libérale pure, presque républicaine, se tenait rue Saint-Honoré, dans la maison du pharmacien Cadet de Gassicourt ; les membres principaux de celle-là étaient Thiers, Charles Teste, Anfous, Chevalier, Bastide, Cauchois-Lemaire et Dupont ; on y débattait cette motion, de créer dans chaque arrondissement un comité de résistance chargé de se mettre en communication avec les députés.

L’autre réunion, qui était bonapartiste, avait lieu chez le colonel Gourgaud. Elle se composait, d’abord, du maître de la maison, puis du colonel Dumoulin, du colonel Dufays, du colonel Plavet-Gaubert et du commandant Bacheville. On cherchait un moyen de faire les affaires de Napoléon II ; mais, comme tous ces hommes étaient bien plus des hommes d’action que des hommes de conseil, on n’arrêta rien, et l’on se donna rendez-vous pour le lendemain, place des Petits-Pères. Une autre réunion, enfin, avait lieu dans les bureaux du Globe. Elle se composait de Pierre Leroux, de Guizard, de Dejean, de Paulin, de Rémusat et de quelques personnes étrangères à la rédaction du journal. Les avis les plus opposés y étaient émis : quelques-uns voulaient, pour le lendemain, faire un