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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/95

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

appel aux armes ; d’autres s’épouvantaient de la rapidité avec laquelle, une fois lancé, on descend, malgré soi, la pente des révolutions.

Au nombre des épouvantés était M. de Rémusat.

— Mais, s’écriait-il d’une voix désespérée, où allez-vous ? où nous poussez-vous ? Il ne s’agit point ici d’une révolution ; ce n’est point une révolution que nous avons voulu faire… La résistance légale, soit ; mais pas autre chose !

Il est bien entendu que, là non plus, on ne décida rien… si ce n’est de faire un lit à M. de Rémusat, que la fièvre venait de prendre.

Carrel n’alla à aucune de ces trois réunions. Lui aussi était pour la résistance légale seulement. Il ne croyait pas à une lutte possible entre des bourgeois et des soldats : il comprenait les révolutions prétoriennes, et demandait à ceux qui parlaient de prendre leur fusil :

— Avez-vous un régiment dont vous soyez sûr ?

Personne n’avait de régiment, attendu qu’aucune conspiration n’était organisée.

Mais il existait une conspiration immense, universelle, invincible : c’était celle de l’opinion publique, qui rendait les Bourbons solidaires de la défaite de 1815, et qui voulait venger Waterloo dans les rues de Paris.

Cette conspiration, elle était dans les yeux, dans les gestes, dans les paroles, et jusque dans le silence des gens que l’on croisait, des groupes que l’on rencontrait, des individus isolés qui s’arrêtaient, hésitant à aller à droite ou à gauche, mais dont l’hésitation même semblait dire : « Où se passe-t-il quelque chose ? où fait-on quelque chose ? afin que j’y aille et que je fasse ce que l’on y fait… »