Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pleine convalescence ; mais un de ses amis, qui n’avait reçu qu’une chevrotine, était en train de mourir.

S’il est mort, c’est le onzième qui ait perdu la vie dans cette échauffourée secondaire.

Régnier — qui était déjà un charmant comédien, et qui est devenu, depuis, un des soutiens de la Comédie-Française, — se trouvait alors à Nantes, et y donnait des représentations fort suivies.

Je passai là deux ou trois jours au milieu des anciens souvenirs de la Révolution, ravivés pour moi par M. Villenave, qui, on le sait, avait failli jouer, dans ce grand drame dont la Convention était l’auteur, et dont Carrier était le metteur en scène, le rôle de victime. S’il y a au monde un nom conservé intact dans l’exécration publique, c’est à coup sûr celui de Carrier !

Je partis de Nantes pour Paimbœuf. Je n’avais vu la mer qu’au Havre, et l’on m’avait dit que ce n’était presque pas la mer ; j’étais curieux de voir une mer véritable, une mer à tempêtes, une mer que les marins eux-mêmes appellent la mer sauvage.

Je ne connais rien au monde de plus mélancolique que ce ruban de maisons qui frange la Loire pendant l’espace de cinq ou six cents pas, et qu’on appelle Paimbœuf ! On dirait être à mille lieues de Paris, hors de toute civilisation. Devant ces braves gens qui regardaient passer à leurs pieds un fleuve grand comme une mer, et qui ne me paraissaient occupés qu’à raccommoder leurs filets et à aller en pêche, je me demandais ce que pouvaient leur importer les révolutions du cratère parisien, dont la lave ne saurait les atteindre, et dont ils ne voient jamais ni la flamme ni la fumée.

Cela leur importait cependant, car on parlait hardiment à Paimbœuf d’une nouvelle Vendée.

Au reste, la distance qui sépare Paimbœuf de Paris met toutes les choses de la vie à un prix dont on ne peut avoir d’idée dans les provinces centrales de la France. Il faut dire que, pour le voyageur, ce bon marché qu’on lui vante parfois, ces homards à six ou huit sous, ces turbots à deux francs,