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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/121

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chai tout à la fois aux bas haubans du grand mât et à l’échelle, que, pour plus de facilité, le pilote — dans la crainte peut-être que je ne tombasse à la mer avant de lui avoir payé son petit écu — roidissait d’une main, tandis que, de l’autre, à l’aide d’une corde passée par un sabord, il maintenait la barque à portée du bâtiment.

Je n’avais pas descendu deux échelons, que le vent avait emporté mon chapeau. Je n’essayai pas même de le retenir : je n’avais pas trop de mes deux mains pour me cramponner à l’échelle.

Enfin, à ma grande satisfaction, et sans trop de gaucherie, j’arrivai à toucher le fond de la barque.

C’est une des vives joies que j’aie éprouvées de ma vie.

À peine fus-je assis sur un des bancs du canot, que le pilote lâcha en même temps l’échelle et la corde, et que nous nous trouvâmes à trente pieds de la Pauline.

J’entendis aussitôt la voix du capitaine qui criait :

— Faites porter les voiles du grand mât !

À l’instant, les voiles cessèrent de fasier, et le bâtiment reprit sa course.

Nos deux jeunes gens étaient à l’arrière, l’homme me faisait signe avec son chapeau, la femme avec son mouchoir.

Pendant ce temps-là, le pilote orientait une petite voile ; je m’aperçus qu’elle était orientée à la façon dont la barque inclina tout à coup ; si je ne me fusse retenu au bordage opposé, je coulais tout bonnement à la mer.

Décidément, la plaisanterie commençait à me paraître mauvaise : — d’autant plus que le pilote, qui parlait à peine français, et qui était avare du peu de mots qu’il savait de notre langue, regardait l’horizon avec une ténacité qui m’inquiétait.

C’est qu’à mesure que nous nous approchions des côtes, la mer grossissait.

En outre, la nuit venait rapidement ; je voyais encore le trois-mâts, parce que sa pyramide de voiles se détachait sur l’horizon empourpré du soleil couchant ; mais il était certain que le trois-mâts ne pouvait plus nous voir, ou que, s’il nous