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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/122

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

voyait, nous avions, pour lui, l’aspect d’une mouette ou d’un goëland perdu dans les vagues.

Ceux qui se sont trouvés dans une frêle barque, au fond d’un de ces abîmes liquides, avec une muraille mouvante à droite et à gauche, l’immensité devant et derrière, et le ciel nuageux au-dessus de leur tête, savent seuls ce que le vent leur a dit en passant à travers leurs cheveux mouillés d’écume.

Au bout d’une demi-heure, le pilote fut obligé d’abattre sa voile. Il prit les avirons, mais les avirons mordaient mal sur les lames.

De place en place, nous voyions les vagues, plus hautes et plus blanches, lancer dans les airs leur embrun, que le vent nous apportait comme une pluie fine et glacée. C’étaient les endroits où la vague se brisait contre les rochers.

Par bonheur, le flux nous poussait vers la terre ; mais, en même temps que le flux nous servait ainsi, le vent nous faisait dévier de l’embouchure de la Loire, et nous jetait le long de la côte du Croisic.

Quant à moi, il m’était impossible de deviner où j’étais ; la nuit venait de plus en plus, le cercle de l’obscurité se rétrécissait ; nous avions à peine vingt pas d’horizon.

Je pris le parti de me cramponner au fond du canot, et de ne plus m’occuper de rien, que de ne pas rouler à la mer ; seulement assis au fond comme je l’étais ; je trempais à moitié dans l’eau de mer que nous avions embarquée alors que nous allions à la voile. Deux heures se passèrent ainsi, qui, je l’avoue, me parurent les deux plus longues heures que j’eusse encore vécues.

Dans un moment où je me soulevais pour regarder, je vis le pilote se donner un grand mouvement ; puis la barque bondit comme si elle eût été folle ; nous passâmes sous une espèce de cataracte qui dominait la crête sombre d’un rocher… Cette fois, je crus que tout était fini : l’eau était entrée par le col de ma chemise, et ruisselait jusque dans mes guêtres.

Je fermai les yeux, et j’attendis.