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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/13

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il est vrai que ceux qui avaient risqué leur tête l’avaient risquée pour la France, et non pour Louis-Philippe.

Le lendemain matin, tandis que j’allais faire une visite au nouveau lieutenant général, et que celui-ci, quittant Vatout et Casimir Delavigne, avec qui il causait, pour venir au-devant de moi, et, déjà renseigné sur mon expédition de Soissons, me tendait la main en me disant : « Monsieur Dumas, vous venez de faire votre plus beau drame ! » le général la Fayette recevait, à l’hôtel de ville, un des plus terribles assauts qui lui eussent encore été livrés.

Qu’on me laisse raconter ce qui était advenu de Charras et de Lothon ; j’ai quelque plaisir, on le comprendra, à m’arrêter plus longtemps sur ceux de ces hommes dont les noms ne devaient pas s’éteindre avec le feu de la fusillade.

Nous les avons vus s’éloigner de l’hôtel de ville, porteurs d’un ordre de Mauguin et d’une proclamation de la Fayette ; nous avons oublié de dire comment Lothon, que nous avions laissé étendu sur le pavé du Palais-Royal, le 29, se trouvait, le 30, à l’hôtel de ville avec Charras.

Lothon — hélas ! celui-là est mort ! — était un de ces hommes rares dont le cœur est au niveau de la tête, un de ces hommes que la poudre enivre, que le bruit excite, et qui aiment le danger pour le danger lui-même, plus encore peut-être que pour l’honneur qu’il peut rapporter.

Lothon, après être resté une heure à peu près sur le pavé, avait été relevé comme mort ; une balle lui sillonnait l’os du front, et sept autres balles trouaient son chapeau, tombé à côté de lui.

On eût dit que le chapeau était devenu une cible.

Pendant qu’on le transportait pour l’enterrer au Louvre avec les autres, il remua légèrement la tête ; la protestation contre ce qu’on voulait faire de lui, si faible qu’elle fût, était incontestable. Un garde national qui marchait dans le cortége le recueillit, le fit panser, le fit coucher, puis le quitta afin d’aller aux nouvelles, ne se doutant pas qu’un homme qui avait la tête fendue par une balle aurait l’idée de se re-