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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lever pour retourner au feu, si, par hasard, il y avait encore du feu dans un coin quelconque de Paris.

Ce fût, cependant, la première idée de Lothon.

À peine son étourdissement fut-il un peu dissipé, qu’il se rhabilla, receignit son épée, — épée qu’il avait prise au théâtre de l’Odéon, et qui appartenait aux accessoires, ainsi que l’indiquaient sa poignée en croix et son fourreau, dont il avait perdu le bout de cuivre, — et, malgré les cris de la femme de son hôte, partit trébuchant comme un homme ivre.

Charras l’avait retrouvé, le soir, en rentrant chez lui. Lothon ne se rappelait qu’à moitié ce qu’il avait fait, et pas du tout où il avait été.

Le lendemain, il s’était trouvé assez bien pour suivre Charras à l’hôtel de ville.

On a vu comment ils furent chargés d’aller enlever le 4e régiment d’artillerie, en garnison à la Fère.

Depuis trois jours, Charras était sans le sou. Au moment où avait éclaté l’insurrection, il était possesseur de quinze francs et d’une lettre de change de cent écus que lui envoyait son père, sur un banquier de Paris ; mais, depuis le 26, toutes les banques étaient fermées, et, à moins que sa lettre de change n’eût été acceptée par Laffitte, il n’eût certes pas trouvé, chez le plus hardi escompteur de Paris, cinquante francs de ses cent écus.

Les quinze francs avaient fait la journée dû 26 et celle du 27 ; le 28, on avait mangé où l’on avait pu ; le 29, on avait dîné à la table de l’hôtel de ville, où dînait tout Paris ; enfin, le 30 au matin, Lionel de l’Aubespin, petit-fils de la Fayette, avait partagé sa bourse avec Charras.

En partant pour la Fère, celui-ci et Lothon se trouvaient à la tête de vingt francs !

On ne prend pas là poste avec cela ; aussi nos deux héros avaient-ils demandé une lettre pour le nouveau directeur des postes, M. Chardel, qui avait été nommé, la veille, par Baude et Arago.

En vertu de cette lettre, M. Chardet leur avait délivré un ordre pour que les maîtres de poste de la route missent des