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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/137

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pas à l’épithète un autre sens que celui que je lui donne moi-même.

Un de mes amis, de mes amis intimes, — le même qui, le matin du 17 août 1847, après sa sortie de la chambre à coucher de madame la duchesse de Praslin, déjeunant chez moi, où il venait de laver pour la seconde fois ses mains tachées du sang de cette malheureuse femme ; le même qui, ce matin-là, me disait « Je vous atteste que c’est le duc de Praslin qui a tué sa femme ! » cet ami, le célèbre chirurgien Pasquier, savant comme Dupuytren, probe comme Larrey, m’a répété dix fois :

— C’est moi qui ai dépendu le prince de Condé de sa fenêtre ; eh bien, sur mon âme et conscience, je déclare qu’il s’y était pendu lui-même !

Et je l’interrogeais sur ce sujet avec d’autant plus d’insistance, que j’avais connu ce pauvre prince à Villers-Cotterets, que j’avais mangé à la même table que lui chez M. Deviolaine, et qu’il avait été bon pour moi, tout enfant, tout étranger, tout inconnu que je lui étais.

Eh bien, sur mon honneur, à mon tour, je crois à la lettre ce que Pasquier m’a dit tant de fois, et me répétait encore exactement dans les mêmes termes quand, il y a deux ans à peine, nous allions tous deux, traversant la mer, rendre les derniers devoirs à ce roi mort à Claremont, — devoirs que, par je ne sais quelle susceptibilité de sa famille, j’ai eu le regret de ne pouvoir lui rendre pour mon compte ; — je le crois, et, s’il n’était pas mort, lui aussi, mort avant l’âge, comme tant de mes amis, comme celui à qui sont dédiés ces Mémoires, j’invoquerais son témoignage, et ce témoignage, dénué de toute affection à cette famille royale dont si souvent il a eu à se plaindre, et dont si souvent il s’est plaint à moi, — son témoignage, dis-je, ne me manquerait pas.

Or, je crois qu’il est bon de dire, d’écrire, d’imprimer cela, en adjurant le mort comme j’eusse adjuré le vivant, à l’heure où, dans cette retraite que je me suis volontairement choisie sur une autre terre que la terre de France, le bruit m’arrive qu’on veut mettre en doute cette question de suicide.