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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/15

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chevaux à leur disposition, et lui-même avait commencé par leur donner les deux meilleurs bidets de son écurie.

Charras et Lothon étaient partis au galop autant que pouvaient le leur permettre les barricades ; ils avaient essuyé trois ou quatre coups de fusil à la barrière, parce qu’on les prenait pour des officiers de la garde royale qui se sauvaient, et étaient arrivés au Bourget chez ce même maître de poste qui, une heure auparavant, venait de me donner des chevaux et un cabriolet.

Le point de départ de la route de Soissons et de celle de la Fère est le même ; seulement, à la hauteur de Gonesse, et à l’endroit nommé la Patte-d’oie, la route se bifurque ; une des branches, celle de droite, conduit à Dammartin, Villers-Cotterets et Soissons ; l’autre mène à Senlis, Compiègne, Noyon et la Fère.

L’excellent patriote auquel les deux jeunes gens s’adressaient pour lui demander des chevaux de selle s’aperçut facilement qu’ils ne feraient pas — Lothon surtout — la moitié du chemin à franc étrier ; il découvrit un second cabriolet qu’il leur offrit, fit mettre les chevaux, et leur souhaita un bon voyage.

Sans doute, ce souhait, comme celui de bonne chasse ; leur porta malheur.

Lothon était monté le premier dans le cabriolet, et, pour faire place à Charras, il avait levé son épée. La nuit commençait à tomber : Charras ne voyait point cette épée, dont, comme nous l’avons dit, la pointe sortait du fourreau ; il sentit tout à coup sous l’aisselle le froid glacé du fer, et voulut se rejeter en arrière ; mais Lothon, qui l’avait pris par les épaules, croyant que le pied lui manquait, s’efforçait de l’attirer à lui. Charras avait beau crier en sentant le fer entrer de plus en plus : « Mais tu me tues, sacrebleu ! tu me tues ! » Lothon, n’entendant rien, à cause du bandeau qui lui ceignait la tête et lui fermait en même temps l’oreille, continuait de l’attirer à lui, et, par conséquent, de l’enferrer. Heureusement, Charras fit un violent effort, s’arracha des mains de son compagnon, et tomba entre les bras du maître