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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/18

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Mais, monsieur, que diable ! on ne tue pas les gens comme cela… On s’explique…

— Oui, quand on a le temps, mais je n’ai pas le temps.

Les postillons, placés derrière le maître de poste, grimaçaient dans la pénombre, se frottaient les mains, et faisaient signe à Charras de ne pas lâcher prise.

Sur ce point, ils pouvaient être sans inquiétude.

— Alors, monsieur, si vous le prenez sur ce ton-là, je vais vous donner des chevaux… Mais, faites-y attention, c’est comme contraint et forcé que je vous les donne.

— Qu’est-ce que cela me fait, pourvu que vous me les donniez !

— Des chevaux pour ces messieurs ! dit le maître de poste en rentrant dans sa chambre, et abandonnant le champ de bataille à Charras.

Et de bons, entendez-vous, postillons ?

— Oh ! soyez tranquille, mon polytechnique, on va vous choisir ça, répondit le postillon ; remontez dans votre berlingot, et reprenez votre somme… C’est à Noyon que vous allez ?

— À la Fère.

— C’est tout un.

Charras remonta dans le cabriolet, et sa fatigue était telle, qu’avant que les chevaux fussent attelés, il était rendormi.

Probablement, le postillon tint parole, car, lorsque Charras se réveilla, on avait dépassé Noyon, et le jour commençait à paraître. Ennuyé d’être tout seul à voir lever l’aurore, il poussa Lothon jusqu’à ce que celui-ci se réveillât à son tour.

Le ciel était magnifique ; le matin, comme dit Shakspeare, posait son pied mouillé de rosée, sur la cime des collines, et semblait, ainsi qu’un nuage lumineux, descendre dans la plaine ; les feuilles des arbres murmuraient ; les moissons jaunissantes se courbaient élégamment ; et, du milieu des épis presque mûrs, l’alouette, fille du jour, s’envolait en battant rapidement des ailes, et en faisant retentir l’air de son chant clair et joyeux.

Les paysans ouvraient leurs portes, humaient la brise du