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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/20

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

son épée de gendarme soutenue par un baudrier au lieu d’un ceinturon, avec son pantalon, tout couvert du sang d’un Suisse qui, déjà fort endommagé, s’était, pour ne pas être achevé entièrement, jeté dans ses bras, Charras ressemblait beaucoup plus à un bandit qu’à un honnête homme.

Mais, à coup sûr, ni l’un ni l’autre, pour des yeux exercés, ne ressemblait à un élève de l’École polytechnique.

Cependant tout alla bien tant qu’on resta dans la voiture. On avait abaissé la capote du cabriolet, et les soldats du poste pouvaient voir la cocarde tricolore de Lothon, et le flot de rubans aux trois couleurs qui, sur le chapeau de Charras, avait remplacé la manche de son Suisse, ornement très-bien porté à Paris, mais trop excentrique pour la province.

Les couleurs magiques produisirent leur effet : la sentinelle présenta les armes, et le maréchal des logis venu à l’ordre appela Lothon mon officier.

— Eh bien, dit Charras à Lothon, il me semble que, jusqu’à présent, cela ne va pas mal ?

— Oui, dit Lothon ; mais c’est avec le colonel qu’il faudra voir…

— Eh ! sacrebleu ! on verra, dit Charras.

— Tu vas tâcher d’être éloquent, j’espère ?

— Sois tranquille… En avant Marengo, Austerlitz, Iéna, la grande armée, le diable et ses cornes ! Il faudra bien que je l’attendrisse, ou il aura le cœur cuirassé d’un triple acier, comme dit Horace.

— Et s’il a le cœur cuirassé d’un triple acier ?…

— Alors… Ah çà ! mais sais-tu bien que tu m’embêtes, avec tous tes si !

— N’importe ! réponds encore à celui-là : S’il ne s’attendrit pas ?

— Eh bien, est-ce qu’il ne nous reste pas le crucifix à ressorts du maître de poste du Bourget ?… On en jouera ! On dirait, ma parole d’honneur, que tu n’en sais pas l’air, toi !

— Si fait !

— En ce cas, pourquoi avocasses-tu ?

— Je voulais savoir si tu étais bien décidé.