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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/203

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

du roi le 30 juillet 1830 ; Bastide en était, et, comme les autres, attendait dans le salon l’arrivée du roi.

Ce moment d’attente était mis à profit par les représentants de l’opinion républicaine. Peu habitués aux têtes couronnées ou tout près de l’être, ils se demandaient entre eux ce qu’il fallait faire quand le lieutenant général serait là. Chacun donnait son avis ; on invita Bastide à donner le sien.

— Ce qu’il faut faire ? dit-il. Il faut ouvrir la fenêtre, et le f… dans la rue !

Et, si c’eût été aussi franchement l’avis des autres que c’était le sien, il l’eût mis à exécution.

Il avait la plume facile et même élégante. Au National, c’était lui que l’on chargeait des articles impossibles ; il s’en tirait comme Méry se tire des bouts-rimés, avec une adresse qui ressemblait à du miracle. Ministre des affaires étrangères, il avait accaparé la besogne de tout le monde, et faisait, lui ministre, non-seulement son travail, mais encore celui de ses secrétaires. C’est à l’Europe diplomatique à nous dire si ce travail était bon.

Godefroy Cavaignac, comme il l’avait rappelé lui-même au duc d’Orléans, était fils du conventionnel Jean-Baptiste Cavaignac, — et nous ajouterons : frère d’Eugène Cavaignac, alors officier du génie à Metz, plus tard général en Algérie, puis dictateur en France, de juin à décembre 1848.

Godefroy Cavaignac était alors un homme de trente-cinq ans, avec des cheveux blonds, de longues moustaches rousses ; se tenant un peu courbé, ayant l’aspect militaire, fumant sans cesse, jetant, entre deux nuages de fumée, des mots spirituels et mordants ; très-net dans la discussion, disant toujours ce qu’il pensait, et le disant en bon langage ; plus instruit que Bastide en apparence, moins instruit que lui en réalité ; prenant la plume par fantaisie, et écrivant alors des espèces de petits poëmes, de petites nouvelles, de petits drames — je ne sais comment appeler cela — d’une originalité parfaite et d’une vigueur peu commune. Je citerai deux de ces opuscules : un que tout la monde connaît : une Tuerie de Cosaques ; un autre que tout le monde ignore, que j’ai lu