Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avait exercice de six à dix heures du matin, dans la cour carrée du Louvre, et deux fois par mois tir à Vincennes.

J’avais donné un spécimen de ma force en soulevant, moi sixième, moi quatrième ou moi deuxième, selon que les autres servants étaient censés tués ou hors de combat, des pièces de huit, dont le poids est de trois à quatre cents kilogrammes, — lorsque, un jour, je reçus une invitation de me trouver, à quatre heures du soir, en armes, au Palais-Bourbon.

Il s’agissait d’enlever la Chambre.

Nous avions fait une espèce de serment de francs-maçons et de carbonari, en vertu duquel nous nous étions engagés à obéir aux ordres des chefs sans les discuter.

Celui-là me parut un peu leste, je l’avoue : cependant, le serment était là ! À trois heures et demie, je revêtis mon costume d’artilleur, je mis six cartouches dans ma giberne, une dans mon mousqueton, et je m’acheminai vers le pont de la Concorde.

Je remarquai avec autant d’étonnement que d’orgueil que j’étais le premier.

Je ne me promenai qu’avec une fierté plus grande, interrogeant les quais, les ponts, les rues, pour voir arriver mes sept cent quatre-vingt-dix-neuf compagnons, qui, quatre heures sonnant, me paraissaient quelque peu en retard.

Enfin, je vis paraître un uniforme bleu et rouge.

Cet uniforme contenait Bixio. Nous allions donc être deux pour enlever quatre cent quarante-neuf députés !

Ce n’était guère ; mais le patriotisme fait faire de si grandes choses !

Cependant, nous résolûmes d’attendre avant de tenter aucune démonstration.

Quatre heures et demie sonnèrent, cinq heures, cinq heures et demie et six heures.

Les députés sortirent et défilèrent devant nous, ne se doutant guère que ces deux artilleurs qui les regardaient passer d’un œil féroce, les reins adossés au parapet du pont, étaient venus là pour les enlever.

Derrière les députés, Cavaignac parut en habit bourgeois.