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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/211

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ces flots de paroles où peut-être le préfet de la Seine avait espéré qu’elle se perdrait, le roi remarqua cette phrase : La proposition de la Chambre, démarche inopportune, a pu faire supposer qu’il y avait concert… ; et les républicains celle-ci : Nos intraitables ennemis, toujours aux aguets pour nous désunir…

Cette démarche que le préfet de la Seine blâmait, c’était la pensée intime du roi, traduite par l’adresse de la Chambre ; M. le préfet de la Seine, en blâmant l’adresse de la Chambre, se permettait donc de blâmer la pensée intime du roi.

À partir de ce moment, la chute du préfet de la Seine fut décidée. Comment, avec ses projets de régner et de gouverner tout à la fois, Louis-Philippe pouvait-il garder un instant près de lui un homme qui blâmait sa pensée intime ? Que M. Odilon Barrot ne s’y trompe pas, c’est de ce jour que date la répugnance du roi pour lui : c’est cette proclamation de 1830 qui a ajourné son ministère de trois heures à 1848.

D’un autre côté, Odilon Barrot rompait avec les républicains, qu’il appelait ses intraitables ennemis.

Le même soir ou le lendemain du jour où parut cette proclamation, Godefroy Cavaignac tira l’horoscope d’Odilon Barrot à lui-même par ces paroles :

— Mon cher ami, vous êtes f…!

En effet, voici ce qui se passait au Palais-Royal.

D’abord le roi était furieux de l’outrecuidance de ce petit avocat. — Le petit avocat devait prendre sa revanche de ce mot en faisant casser, deux ans après, le jugement du jeune peintre Geoffroy, condamné illégalement à mort par le conseil de guerre institué en vertu de l’état de siège. Belle et noble revanche, Odilon, et qui vous a refait de la popularité pour dix ans !

Donc, la chute d’Odilon Barrot avait été décidée au Palais-Royal.

Cette chute n’était pas chose qui fût bien pénible au ministère tel qu’il était composé au mois de novembre 1830 : M. Molé, transfuge du camp napoléonien ; M. de Broglie, transfuge du camp royaliste ; M. Guizot, l’homme du Moniteur de