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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/223

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

bourgeoise, la dernière des aristocraties, parce qu’elle est la plus égoïste et la plus étroite, — et il rêve la république !

Mais comment attaquera-t-il ce roi populaire, ce roi de la bourgeoisie, ce roi des intérêts matériels, ce roi qui a sauvé la société ? — Tout gouvernement qui arrive, on le sait en France, a sauvé la société ! — ce roi est invulnérable : la révolution de 89, que l’on croit sa mère, et qui n’a été que sa nourrice, l’a trempé dans la fournaise des trois jours, comme Thétis a trempé son fils Achille dans le Styx ; seulement, il a son endroit faible, comme le héros d’Homère.

Cet endroit faible, c’est le sentiment républicain, toujours vivace en France, qu’il s’y déguise sous le nom de libéralisme, de progrès ou de démocratie.

Béranger l’a trouvé ; car, au moment où il allait dire adieu à la chanson, le voilà qui chante ! le guerrier, qui, découragé, avait jeté ses armes, les ramasse ; seulement, il a changé de but : il ne tuera plus avec la balle, il tuera avec le principe ; il n’essayera plus de trouer avec sa poudre le velours d’un vieux trône, il dressera une nouvelle statue de marbre sur un autel d’airain !

Cette statue, ce sera celle de la République.

Lui qui était en avant sous la branche aînée, le voilà en arrière sous la branche cadette ; mais n’importe ! il fera son œuvre, et, pour être isolée, elle n’en sera pas moins puissante.

Écoutez-le ; le voici à sa fonte : comme Benvenuto Cellini, il jette le plomb de ses vieilles cartouches dans le moule : il y jettera son bronze ; il y jettera jusqu’aux deux couverts d’argent que, dans les grands jours, il tire de l’armoire de noyer pour dîner avec Lisette, et qu’une fois ou deux il a prêtés à Frétillon pour les mettre en gage.

Tout en travaillant, il s’aperçoit que ce sont ceux qu’il a combattus en 1830 qui avaient raison, et que c’est lui qui avait tort ; il les avait traités de fous, il leur fait amende honorable dans cette chanson :

Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous,