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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/224

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Si des rangs sortent quelques hommes,
Tous, nous crions : « À bas les fous ! »
On les persécute, on les tue,
Sauf, après un lent examen,
À leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain !

Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux !
Les sots la traitent d’insensée,
Le sage lui dit : « Cachez-vous ! »
Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain
L’épouse ; elle devient féconde,

Pour le bonheur du genre humain !
 

Qui découvrit un nouveau monde ?
Un fou qu’on raillait en tout lieu !
Sur la croix, que son sang inonde,
Un fou qui meurt nous lègue un Dieu !
Si, demain, oubliant d’éclore,
Le jour manquait, eh bien, demain,
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain !

Quelle merveille de sens, de rime, d’idée, de poésie que cette chanson ! Vous ne la connaissiez pas ? Non ; et, cependant, vous connaissiez toutes celles qui, sous Charles X, attaquaient le trône ou l’autel, le Sacre de Charles le Simple et l’Ange gardien. Pourquoi ne connaissiez-vous point celle-ci ? C’est que Béranger, au lieu d’être un soldat de plomb aligné pour la défense de l’ordre, comme l’entendent les agioteurs, les bourgeois et les épiciers, passe à l’état d’un de ces fous qui sortent des rangs et poursuivent l’idée, qu’ils prendront pour femme s’ils la rencontrent, qu’ils féconderont s’ils l’épousent !

Seulement, Béranger n’est plus en harmonie avec la pensée publique ; on ne ramasse plus les traits qu’il lance pour