Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ils répondaient : « Ce drapeau, qu’on escorte,
Au toit du chef le protège endormi !
Mais le soldat, teint du sang ennemi,
Veille, et de faim meurt en gardant la porte ! »
Et, vers le ciel se frayant un chemin,

Ils sont partis en se donnant la main !
 

Dieu créateur, pardonne à leur démence !
Ils s’étaient faits les échos de leurs sons,
Ne sachant pas qu’en une chaîne immense,
Non pour nous seuls, mais pour tous nous naissons.
L’humanité manque de saints apôtres
Qui leur aient dit : « Enfants, suivez ma loi !
Aimer, aimer, c’est être utile à soi ;
Se faire aimer, c’est être utile aux autres ! »
Et, vers le ciel se frayant un chemin,
Ils sont partis en se donnant la main !

Et à quel moment, — réfléchissez-y ! — à quel moment Béranger dit-il que le monde fait naufrage, qu’on voit pâlir pilote et matelots ? En février 1832, quand les Tuileries regorgent de courtisans, quand les journaux du gouvernement regorgent de louanges, quand les soldats citoyens de la rue Saint-Denis et de la rue Saint-Martin montent la garde avec enthousiasme, quand les officiers demandent des croix pour eux et des invitations à la cour pour leurs femmes ; enfin, quand, sur trente-six millions d’hommes dont se compose le peuple français, trente millions hurlent à tue-tête : « Vive Louis-Philippe, le soutien de l’ordre, le sauveur de la société ! » quand le Journal des Débats crie : Hosannah ! et le Constitutionnel : Amen !

Morbleu ! il faut être bien fou pour mourir dans un pareil moment, et bien poëte pour dire que le monde fait naufrage !

Mais attendez ! comme il voit qu’on ne l’a pas écouté ; que, comme Horace, il a chanté pour des sourds, Béranger va chanter encore et crier plus haut :

Société, vieux et sombre édifice,
Ta chute, hélas ! menace nos abris :