Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

que madame de Staël, dont il était, alors, plus que l’ami, haïssait le premier consul. Éliminé du tribunat en 1801, exilé de France en 1802, il s’en alla vivre à Coppet, près de sa maîtresse ou plutôt de son maître. Vers 1806 ou 1807, cette vie d’esclave lui parut trop lourde : si faible qu’il fût, il rompit sa chaîne. Lisez son roman d’Adolphe, et vous verrez ce que cette chaîne lui pesait ! À Hanovre, où il s’était arrêté, il épousa une grande dame allemande, une parente du prince de Hardenberg, et le voilà aristocrate, hantant la plus haute société d’Allemagne, ne quittant plus les princes du Nord, vivant au milieu de la coalition qui menace la France, rédigeant les proclamations étrangères, écrivant sur la table de l’empereur Alexandre sa brochure De l’esprit de conquête et d’usurpation, rentrant enfin en France avec Auguste de Staël, dans la voiture du roi Charles-Jean. — Le moyen de ne pas être royaliste en pareille compagnie !

Aussi Benjamin Constant est-il admis au Journal des Débats ; c’est un des plus ardents rédacteurs de cette feuille. Quand Bonaparte débarque au golfe Juan, et marche sur Paris, le premier mouvement de Benjamin Constant est de s’éloigner. Il commence par se cacher chez M. de Crawford, ancien ambassadeur des États-Unis ; puis il part pour Nantes avec un Américain qui se charge de le conduire hors de France. En route, il apprend l’insurrection de l’Ouest, revient sur ses pas, et rentre à Paris, après huit jours d’absence.

Au bout de cinq autres jours, sur une invitation de M. Perregaux, il se rendait aux Tuileries, où l’empereur l’attendait dans son cabinet. Benjamin Constant était à toute puissance qui se donnait la peine de le séduire : beauté, génie, pouvoir, avaient prise égale sur lui ; c’était, en politique, en littérature, en moralité, ce que nous appellerons une courtisane, et ce que Thomas du National appelait d’un nom moins élégant. — Le surlendemain, les journaux annonçaient la nomination de Benjamin Constant au conseil d’État. C’est là qu’il rédigea avec M. Molé, que nous venons de heurter ministre de Louis-Philippe, le fameux acte additionnel.

À la seconde restauration, cela vaut à Benjamin Constant