Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’être proscrit ; cette proscription lui refait une popularité, tant était grande la haine contre les Bourbons ! Alors, il va en Angleterre, et publie Adolphe. En 1816, les portes de la France lui sont rouvertes ; il fonde la Minerve, écrit au Courrier, au Constitutionnel et au Temps. C’est alors que je le vois, chez Châtelain et chez M. de Leuven. C’était un homme grand, bien constitué, nerveux outre mesure, pâle, avec de longs cheveux qui donnaient à son visage un caractère étrange de puritanisme, irritable comme une femme, joueur jusqu’à la folie ! Depuis 1819, il était député ; chaque jour, il arrivait un des premiers à la Chambre, strictement vêtu de l’uniforme aux fleurs de lis d’argent, tenant, été comme hiver, une redingote sous son bras ; son autre bras était chargé de livres et d’épreuves d’imprimerie ; il entrait clopin-clopant, appuyé sur une espèce de béquille, trébuchant deux ou trois fois avant d’arriver à son banc. Une fois arrivé à son banc, une fois assis, il se mettait à faire sa correspondance et à corriger ses épreuves, employant, les uns après les autres, tous les huissiers de la Chambre à faire ses mille commissions.

Ambitieux de toutes choses, sans avoir pu arriver à rien, pas même à l’Académie, où il échoua, la première fois contre Cousin, la seconde contre M. Viennet ! tour à tour irrésolu et courageux, servile et indépendant, c’est en hésitations de toute nature qu’il passe ses dix ans de députation. Le lundi des ordonnances, il était à la campagne, où l’on venait de lui faire une grave opération ; il reçoit une lettre de Vatout ; elle était courte et significative :

« Mon cher ami, il se joue ici un jeu terrible où les têtes servent d’enjeu. Soyez beau joueur comme toujours, et venez apporter la vôtre. »

C’était tentant ; aussi part-il. Le jeudi, il arrive à Montrouge, où les barricades le forcent à descendre de voiture ; il traverse Paris au bras de sa femme, qui s’effraye en voyant quels hommes gardent l’hôtel de ville, et effraye son mari en s’effrayant.