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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/238

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tait encore, à cette époque, que  mademoiselle Darcet ou tout au plus madame.

Tous deux vivaient d’une petite fortune suffisant à leurs besoins, car Laure Grouvelle n’avait aucune des coquetteries de la femme : c’était quelque chose comme Charlotte Corday.

Il est à remarquer que tous les hommes de 1830, carbonari de 1821 et 1822, étaient des hommes, sinon riches, du moins indépendants, soit par leur fortune personnelle, soit par leur industrie, soit par leur talent. Bastide était riche, Thomas était riche, Cavaignac et Guinard vivaient de leurs rentes, Arago et Grouvelle avaient une position, Loëve-Weymars possédait un talent, Carrel du génie. Je pourrais les nommer tous, et l’on verrait qu’aucun d’eux n’agissait dans un but égoïste, qu’aucun d’eux n’avait besoin de faire une révolution pour s’enrichir, et que tous, au contraire, ont perdu aux révolutions qu’ils ont faites, les uns leur fortune, les autres leur liberté, quelques-uns la vie.

Mademoiselle Grouvelle ne s’était point mariée ; jeune fille, elle avait été recherchée, disait-on, par Étienne Arago ; il y avait déjà longtemps : c’était en 1821 ou 1822.

Étienne Arago était, en 1821, préparateur de chimie à l’École polytechnique ; il avait une vingtaine d’années ; il fit connaissance de Grouvelle chez Thénard. C’était un esprit méridional, un cœur ardent ; on voulait faire de lui un propagandiste, et, par son aide, notamment, introduire dans l’École la charbonnerie, dont Grouvelle était, avec Thénard, Mérilhou et Barthe, un des principaux chefs.

Ce furent les germes de républicanisme déposés par le jeune préparateur de chimie, et aussi, et surtout, pourrions-nous même dire, par Eugène Cavaignac, alors élève de l’École, qui firent plus tard les Vanneau, les Charras, les Lothon, les Millotte, les Caylus, les Latrade, les Servient et toute cette noble race de jeunes gens qui, de 1830 à 1848, se trouva à la tête de tous les mouvements.

Un an après, la charbonnerie s’était recrutée de Guinard, de Bastide, de Chevalon, de Thomas, de Gauja, de tous ces