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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/243

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et, alors, on se serrait les mains, on se regardait avec des yeux enflammés, et l’on se quittait, les artilleurs en se disant : « Le peuple marche ! » les gens du peuple en répétant : « Les artilleurs sont avec nous ! »

Tous ces bruits flottaient dans l’air, et semblaient, comme des vapeurs, s’arrêter aux plus hauts monuments.

Le Palais-Royal n’était qu’à cent cinquante pas du Louvre, et dans le Louvre se trouvaient vingt-quatre pièces d’artillerie, vingt mille coups à tirer, et, sur huit cents artilleurs, six cents républicains.

Il n’y avait pas de complot arrêté ; mais il était bien évident que, si le peuple marchait, l’artillerie marcherait avec le peuple.

Aussi M. de Montalivet, le frère du ministre, avait-il, vers une heure de l’après-midi, averti son frère qu’il y avait un coup monté pour nous enlever nos pièces.

Le général la Fayette fit aussitôt prévenir Godefroy Cavaignac de l’avis qui lui était donné.

Or, nous voulions bien marcher avec le peuple, manœuvrer nos pièces, courir les chances d’une seconde révolution, comme nous avions couru les chances d’une première ; mais les pièces, qui étaient en quelque sorte notre propriété, dont la responsabilité pesait sur nous, nous ne voulions pas qu’on nous les enlevât.

Ce bruit d’un coup de main sur le Louvre avait d’autant plus de consistance que, depuis deux ou trois jours, il était fort question d’un complot bonapartiste ; et, si nous étions tout disposés à nous battre pour la Fayette et la république, nous n’entendions pas risquer un cheveu pour Napoléon II.

En conséquence, Godefroy Cavaignac, prévenu, avait apporté un ballot de deux ou trois cents cartouches qu’il avait jeté sur une des tables de jeu qui étaient dans le corps de garde.

Alors, chacun avait empli sa giberne et ses poches.

Quand j’arrivai au Louvre, le partage était fait ; mais peu m’importait ! ma giberne était pleine depuis le jour où j’avais été convoqué pour enlever la Chambre.