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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/259

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

étonnement, passer Chodruc-Duclos chaussé de souliers et de bas, vêtu d’une redingote seulement à demi-usée, et coiffé d’un chapeau presque neuf !

Nous emprunterons à la Némésis de Barthélemy le portrait de Chodruc-Duclos ; puis nous le compléterons par quelques renseignements qui nous sont personnels, et par quelques anecdotes que nous croyons inconnues.

Après avoir peint tout ce peuple d’affamés qui, de cinq heures à sept heures du soir, tourbillonne autour des caveaux de Véfour et des Frères-Provençaux, le poëte arrivait au roi des déguenillés, à Chodruc-Duclos.

Voici les vers de Barthélemy, qui peignent l’homme avec ce bonheur de pinceau et cette justesse d’expression qui faisaient un des principaux caractères du talent de l’auteur de la Némésis :

Mais, autant qu’un ormeau s’élève sur l’arbuste,
Autant que Cornuet domine l’homme-buste[1],
Sur cette obscure plèbe errante dans l’enclos,
Autant plane et surgit l’héroïque Duclos.
Dans cet étroit royaume où le destin les parque,
Les terrestres damnés l’ont élu pour monarque :
C’est l’archange déchu, le Satan bordelais,
Le Juif errant chrétien, le Melmoth du palais.
Jamais l’ermite Paul, le virginal Macaire,
Marabout, talapoin, faquir, santon du Caire,
Brahme, guèbre, parsis adorateur du feu,
N’accomplit sur la terre un plus terrible vœu !
Depuis sept ans entiers, de colonne en colonne,
Comme un soleil éteint ce spectre tourbillonne ;
Depuis le dernier soir que l’acier le rasa,
Il a vu trois Véfour et quatre Corazza ;
Sous ses orteils, chaussés d’éternelles sandales,
Il a du long portique usé toutes les dalles ;

  1. Cornuet occupait un des pavillons littéraires qui s’élevaient à chaque extrémité du jardin du Palais-Royal ; l’autre était occupé par un nain qui était tout buste, et semblait ramper sur deux jambes presque invisibles.