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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/263

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il s’arrêta droit devant moi.

— Monsieur Dumas, me dit-il, vous connaissez Nodier ?

— Beaucoup.

— Vous l’aimez ?

— De tout mon cœur !

— Ne trouvez-vous pas qu’il vieillit énormément ?

— Je dois vous avouer que c’est la réflexion que je me faisais.

— Savez-vous pourquoi il vieillit ?

— Non.

— Eh bien, je vais vous le dire, moi : c’est qu’il se néglige ! Rien ne vieillit un homme comme de se négliger !

Et il continua sa promenade, me laissant tout abasourdi, non pas de l’observation, qui était pleine de sagacité, mais de ce que c’était Chodruc-Duclos qui l’eût faite.

La révolution de juillet 1830 avait momentanément interrompu les habitudes invétérées de deux hommes : Stibert et Chodruc-Duclos. — Stibert était joueur aussi enragé que Duclos était promeneur infatigable.

Frascati, où Stibert passait ses jours et ses nuits, était fermé ; les ordonnances avaient suspendu le trente-et-un, en attendant que la monarchie de Juillet le supprimât tout à fait.

Stibert n’eut pas la patience d’attendre que les Tuileries fussent prises : le 28 juillet, à trois heures de l’après-midi, il força le concierge de Frascati à lui ouvrir la porte, et à jouer au piquet avec lui.

De son côté, Duclos, sortant de chez lui pour gagner son Palais-Royal bien-aimé, trouva les Suisses qui en défendaient l’approche. Des jeunes gens avaient engagé le combat avec eux, et l’un de ces jeunes gens, armé d’un fusil de munition, tirait sur les habits rouges avec plus de courage que d’adresse. Duclos le regardait faire, et, au bout de quelques instants, s’impatientant de ce que l’on risquât ainsi sa vie en pure perte :

— Passez-moi votre fusil, dit-il au jeune homme ; je vais vous montrer comment on joue de cet instrument-là.

Le jeune homme prêta son fusil à Duclos.