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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/266

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

madame Cardinal. Ces deux volumes étaient chez madame Cardinal depuis 1835 ; ils étaient sur ses rayons, ils étaient sur son catalogue, ils étaient en montre, ils étaient en vue ! eh bien, ces deux volumes n’étaient pas coupés ! et c’est moi qui, au bout de dix-huit ans, passe le couteau d’ivoire entre leurs pages vierges !

Malheureux Rabbe, il manquait cela à ta destinée !

C’est que les circonstances ont toujours failli à Rabbe ; toute sa vie, il a attendu une révolution : dans une révolution, Rabbe eût été beau comme Catilina ou comme Danton.

1830 sonna sur lui : il était mort depuis vingt-quatre heures !

À l’âge de dix-huit ans, Rabbe concourut pour un prix académique. Le programme était l’éloge de Puget. Un beau discours plein d’idées neuves, un style chaud, une éloquence méridionale, furent autant de causes pour que Rabbe n’obtint aucune réussite, pas même la plus petite mention honorable ; mais, à ses amis, cet échec révéla tout ce qu’il y avait de brillant avenir dans la vie de Rabbe, si la fortune voulait donner un tour de roue à son bénéfice. Hélas ! la fortune fut académicienne ; Rabbe avait Oreste pour patron.

Doué d’une de ces organisations qui se laissent entraîner à la furie du moment, Rabbe, en 1815, se mit en tête de devenir l’ennemi de Masséna. Pourquoi ? Personne ne l’a jamais bien su, pas même Rabbe. Il publia alors ses Massénaires, espèces d’ïambes en prose écrits avec la pointe d’un fer rouge. Cette brochure le plaça dans le parti royaliste.

Réconcilié, quinze jours plus tard, avec le vainqueur de Zurich, une mission le fit partir pour l’Espagne.

De là datent tous les malheurs du pauvre Rabbe ; c’est en Espagne qu’il fut atteint d’une maladie qui avait le déplorable défaut de ne pas être mortelle.

Quel était ce fléau, cette peste, cette contagion ? Lui-même le dit. Écoutez Rabbe ; on n’emprunte ces détails-là qu’à celui qui a le droit de les donner.

« Hélas ! ô ma mère, tu n’avais pas pu me rendre invulné-