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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/267

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rable en me trempant, au sortir de ton sein, dans les froides eaux du Styx.

» Égaré par une imagination brûlante et des sens impérieux, j’ai répandu mon encens et prodigué les trésors de l’âge sur les autels d’une criminelle volupté ; le plaisir, ce destructeur des humains dont il ne devrait être que le père, a dévoré les prémices de ma jeunesse. Quand je me regarde, je frémis ! Est-ce bien moi ? Quelle main a sillonné ma face de ces traces hideuses ?…

» Qu’est devenu ce front où respirait la candeur de mon âme, lorsqu’elle était pure encore ? Ces yeux qui effrayent, ces yeux mutilés exprimaient jadis ou les désirs d’un cœur qui n’avait que des espérances et pas un regret, ou les méditations voluptueusement sérieuses d’un esprit libre encore de honteuses chaînes.

» Le sourire de la bienveillance les animait toujours quand ils se portaient sur un de mes semblables ; maintenant, mes regards hasardés et tristement farouches disent à tous : « J’ai vécu, j’ai souffert ; je vous ai connus, et je veux mourir ! »

» Que sont devenus ces traits presque suaves que dessinait la ligne la plus harmonieuse ? Cet ensemble, cette physionomie de bonheur qui plaisait et me faisait trouver partout des cœurs faciles et bienveillants n’existent plus ! tout a péri ! tout s’est dégradé ! Dieu et la nature se sont vengés !

» Quand j’éprouverai un affectueux sentiment, désormais l’expression de mes traits trahira mon âme ; quand j’approcherai la beauté, l’innocence, elles fuiront !

» Tourments inexprimables ! punition affreuse !

» Désormais, je dois chercher toutes mes vertus dans le repentir qui me dévore ; il faut que je m’épure par le feu inextinguible des incurables douleurs ; que je remonte à la dignité de mon être par le profond et cuisant regret de l’avoir souillé.

» Quand viendra le moment où, par mes souffrances, j’aurai mérité le repos, la jeunesse aura fui… Mais il est une autre