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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/276

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

votre coup de peigne soit léger à ma tête, et gardez, comme dit Boileau, que

L’ivoire trop hâté ne se brise en vos mains !

Il disait à son portier :

— Si quelque ami vient frapper à ma porte hospitalière, soyez-lui bienveillant… Je rentrerai bientôt ; je vais respirer l’air du soir sur le pont des Arts.

Il disait à son pâtissier, Grandjean, qui demeurait à sa porte, rue des Petits-Augustins :

— Monsieur Grandjean, le vol-au-vent que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer hier avait une croûte de ciment romain rebelle à la dent ; donnez à vos œuvres culinaires une cuisson plus onctueuse ; on vous en saura gré.

Au milieu de tout cela, Rabbe se figurait toujours qu’il écrivait son roman de la Sœur grise.

Un jour, Thiers entre chez lui, et, selon son habitude :

— Eh bien, Rabbe, dit-il, que faites-vous ?

— Parbleu ! répond Rabbe, ce que je fais, vous le savez bien ! je fais ma Sœur grise.

— Elle doit être fort avancée depuis que vous y travaillez ?

— Elle est finie.

— Ah ! vraiment !

— En doutez-vous ?

— Non.

— Vous en doutez ?

— Mais non.

— Tenez, dit-il en prenant le cahier de papier, la voici.

Thiers prend le cahier de papier.

— Comment, la voici ? Mais c’est du papier blanc que vous me montrez, mon cher !

Rabbe s’élance comme un tigre sur Thiers, et peut-être allait-il supprimer, en 1825, le ministère du 1er mars, quand Thiers ouvre le cahier, et lui montre les pages d’une blancheur aussi entière que la robe de la bergère de M. Planard. Rabbe saisit ses cheveux à deux mains.