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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/280

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lève à la prière ; lui, le sceptique, il doute du doute, et revient à Dieu.

« Ô mon Dieu ! — s’écrie-t-il dans la solitude de la nuit, qui porte jusqu’à ses voisins ses gémissements et ses larmes, — ô mon Dieu ! il faut que votre justice nous réserve un monde meilleur ! Ô mon Dieu ! qui savez toutes les pensées que je puis tracer ici et les regrets qu’expriment en ce moment mes larmes brûlantes ; ô mon Dieu ! si les gémissements d’un infortuné peuvent être entendus de vous ; ô mon Dieu ! vous savez le cœur que vous m’avez donné, vous savez quels furent les vœux qu’il forma, vous connaissez les désirs immodérés qui le remplissent encore ! Ah ! si les afflictions l’ont brisé, si la privation de tout soulagement, de toute tendresse, si la plus affreuse solitude le dessèche, ô mon Dieu ! secourez votre misérable créature ; donnez-moi la foi d’un monde meilleur ! Oh ! puissé-je trouver au delà du trépas ce que mon âme, méconnue et bientôt égarée, ne cesse de demander à la terre… »

Alors, Dieu avait pitié de lui : Dieu ne lui rendait pas la santé, Dieu ne lui rendait pas l’espoir, Dieu ne lui rendait pas la jeunesse, la beauté, l’amour, ces trois illusions disparues pour lui avant le temps ; mais Dieu lui permettait les larmes. Vers les derniers mois de l’année 1829, le mal fit de tels progrès, que Rabbe résolut de ne pas voir l’année 1830. Alors, comme il s’est adressé à Dieu, il s’adresse à la mort :

la mort

« Tu te meurs ! te voilà arrivé au terme où viennent toutes choses, à la fin de tes misères, au commencement de ton bonheur. La voici, la mort, là, debout en face de toi ! Tu ne pourras plus ni la souhaiter ni la craindre. Souffrances ou faiblesses du corps, tristes agitations, peines cuisantes de l’âme, chagrins dévorants, tout est achevé ! Tu ne ressentiras plus rien de semblable ; tu vas braver en paix l’orgueil insultant du crime