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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/316

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sion vos reproches, et de recevoir sans examen la définition de MM. les Quarante.

» Hélas ! moi, monsieur, j’ai lu — mon métier de romancier français m’y force — non-seulement les Fragments d’Épicure, publiés à Leipzig en 1813, avec la version latine de Schneider, mais aussi le corps d’ouvrage publié par Gassendi, et renfermant tout ce qui concerne la vie et la doctrine de l’illustre philosophe athénien ; mais aussi la Morale d’Épicure, petit in-8° publié en 1758 par l’abbé Batteux.

» En outre, je possède une excellente traduction de Diogène Laërce, lequel, vivant sous les empereurs Septime et Caracalla, c’est-à-dire seize cent quatre-vingts ans avant nous, et quatre cents ans après Épicure, devait naturellement mieux connaître celui-ci que vous et moi ne le connaissons.

» Je sais bien, monsieur, que Timon dit de lui :

» Vint, enfin, de Samos, le dernier des physiciens ; un maître d’école, un effronté, et le plus misérable des hommes ! »

» Mais Timon le syllographe, — ne pas confondre avec Timon le misantkrope, qui, vivant cent ans avant Épicure, ne put le connaître ; — Timon le syllographe était un poëte et un philosophe satirique ; il ne faut donc pas, si l’on veut juger sainement Épicure, s’en rapporter à Timon le satirique.

» Je sais bien, monsieur, que Diotime le stoïcien le voulut faire passer pour un voluptueux, et publia, sous le nom même du philosophe qui fait l’objet de notre discussion, cinquante lettres pleines de lasciveté, et une douzaine de billets que vous diriez être sortis du boudoir de M. le marquis de Sade.

» Mais il est prouvé, aujourd’hui, que les billets étaient de Chrysippe, et que les lettres étaient de Diotime lui-même.

» Je sais bien, monsieur, que Denys d’Halicarnase a dit qu’Épicure et sa mère allaient purgeant les maisons par la force de certaines paroles ; que le jeune philosophe accompagnait son père, qui montrait à lire à vil prix aux enfants ; qu’un de ses frères — Épicure avait deux frères — faisait l’amour pour exister, et que lui-même demeurait avec une courtisane nommée Léontie.

» Mais vous connaissez Denys d’Halicarnasse, monsieur : c’était un romancier bien plus qu’un historien ; ayant inventé beaucoup de choses sur Rome, il a bien pu en inventer quelques-unes sur Épicure. D’ailleurs, je ne vois pas qu’il y eût grand mal au pauvre petit philosophe en herbe d’accompagner sa mère, qui purgeait les maisons avec des paroles, et son père, qui apprenait à lire à vil prix aux enfants.