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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/318

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» son naturel, qui lui fit donner universellement à tout le monde des marques d’honnêteté et de bienveillance ; sa piété envers les dieux et son amour pour sa patrie ne se démentirent pas un seul instant jusqu’à la fin de ses jours.

Ce philosophe eut, en outre, une modestie si extraordinaire, qu’il ne voulut jamais se mêler d’aucune charge de la République.

» Il est encore certain que, malgré les troubles qui affligèrent la Grèce, il y passa toute sa vie, excepté deux ou trois voyages qu’il fit sur les confins de l’Ionie, pour visiter ses amis, qui s’assemblaient de tous côtés, afin de venir vivre avec lui dans un jardin qu’il avait acheté au prix de quatre-vingts mines. »

» En vérité, monsieur, dites-moi si, en faisant la part des époques, ce portrait d’Épicure ne convient pas de toutes façons à notre cher Béranger ?

» N’est-ce pas, en effet, de Béranger que l’on peut dire que son bon naturel lui a toujours fait rendre justice à tout le monde ; que le nombre de ses amis est si grand, que les villes ne peuvent les contenir ; que le charme de sa doctrine a la douceur de la voix des sirènes ; que sa vertu fut marquée en d’illustres caractères par la reconnaissance et la piété qu’il eut envers ses parents ; que son amour pour sa patrie ne se démentit pas un instant jusqu’à la fin de ses jours, et qu’enfin, il fut d’une modestie si extraordinaire, qu’il ne voulut jamais occuper une charge dans la République ?

» En outre, ce fameux jardin qu’Épicure avait acheté quatre-vingts mines, et où il recevait ses amis, ne ressemble-t-il pas fort à cette retraite de Passy et à cette avenue Chateaubriand où tout ce qu’il y a de bon, de grand, de généreux, a visité et visite encore le fils du tailleur et le filleul de la fée ?

» Maintenant, monsieur, passons à ce malencontreux reproche de volupté, d’égoïsme et de gourmandise qu’on a fait à Épicure, et qui cause votre vertueuse indignation contre moi et contre tous ceux qui, d’après moi, pourraient tenir Béranger pour un philosophe épicurien.

» Vous allez voir, monsieur, que ce reproche n’est pas mieux fondé que celui qu’on me fait, à moi qui n’ai peut-être pas bu dans ma vie quatre bouteilles de vin de Champagne, et qui n’ai jamais pu fumer un seul cigare sans être vingt-quatre heures malade, de ne savoir travailler qu’au milieu de la fumée de tabac, des bouteilles débouchées et des verres vides !

» Un demi-setier de vin, » dit Dioclès dans son livre de l’Incursion,