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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/59

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Mais puisque je vous ai dit qu’il était couché !

— Mais puisque je te dis de marcher devant, drôle !

Et il allongea un coup de pied au concierge, qui monta les escaliers quatre à quatre, ouvrit la chambre du préfet, posa son suif sur la table de nuit, et, montrant à Charras un homme qui se frottait les yeux, il sortit en disant :

— Voilà M. le préfet, arrangez-vous avec lui comme vous voudrez.

M. le préfet se souleva sur son coude.

— Hein ! dit-il, que me veut-on ?

— On veut vous apprendre, monsieur le préfet, dit Charras, que, tandis que vous dormez tranquillement, il y a autour de Rambouillet dix mille hommes qui enragent de faim par votre faute.

— Comment, par ma faute ?

— Sans doute… N’avez-vous pas reçu l’ordre de faire filer dix mille rations de pain sur Cognières ?

— Eh bien, monsieur ?

— Eh bien, monsieur, les dix mille rations sont encore à Versailles, voilà tout.

— Dame ! que voulez-vous que j’y fasse ?

— Ce que je veux que vous y fassiez ? Oh ! c’est bien simple… Je veux que vous vous leviez, que vous veniez avec moi à la manutention, que vous fassiez charger le pain sur des voitures, et que vous donniez aux voitures l’ordre de se mettre en route.

— Monsieur, vous parlez d’un ton…

— Je parle comme il convient.

— Savez-vous qui je suis. — Qu’est-ce que cela me fait, à moi, qui vous êtes !

— Monsieur, je suis M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise.

— Et moi, monsieur, je suis M. Charras, premier aide de camp du général Pajol, commandant en chef l’armée expéditionnaire de l’Ouest, et j’ai l’ordre de vous faire fusiller, si vous n’envoyez pas le pain à l’instant même.

— Me faire fusiller ? s’écria le préfet en bondissant dans son lit.