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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/66

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de la chasse, et se lancer, dans le parc royal, à la poursuite des cerfs, des biches et des daims.

D’autres s’établirent dans le château, et se firent d’immenses noces de Gamache des reliefs trouvés dans les cuisines de l’ex-roi, et arrosés des meilleurs vins de ses caves.

Enfin, les plus raisonnables, ou peut-être aussi les plus vaniteux, montèrent dans les voitures royales et les ramenèrent à Paris, conduisant, au centre de ces voitures, le fourgon contenant les diamants de la couronne avec autant de respect que les Israélites menaient l’arche sainte.

Et la comparaison est d’autant plus exacte, que l’imprudent qui eût touché du bout du doigt à cette nouvelle arche fût certainement tombé mort, et d’une mort bien autrement explicable que celle des sacrilèges qui touchaient à l’ancienne.

Tout ce cortège, merveilleux par le contraste qu’il offrait entre les laquais en grande livrée, les harnais magnifiques, les carrosses dorés et les hommes en guenilles qu’il voiturait, après avoir longé, au pas et gravement, le quai de Passy, le quai de Billy ; le quai de la Conférence et le quai des Tuileries, traversa le Carrousel, et s’arrêta dans la cour du Palais-Royal.

Il va sans dire que tous ces malheureux qui accompagnaient, escortaient, gardaient pour quatre-vingts millions de diamants, mouraient de faim, n’ayant eu, le matin, qu’une portion de ce pain envoyé, pendant la nuit, par M. le préfet de Seine-et-Oise.

Et encore, comme les voitures avaient été pillées, les uns n’avaient eu qu’une demi-ration, les autres qu’un quart de ration, les autres, enfin, n’avaient rien eu du tout.

Le lieutenant général descendit, remercia, sourit et remonta.

— Mordieu ! dit Charras à Charles Ledru, il aurait bien dû songer à nous inviter à dîner, M. le lieutenant général… J’enrage la faim, moi !

— Eh bien, dit Charles Ledru, allons dîner chez Véfour.

— Vous êtes charmant ! Je n’ai pas le sou, moi… Avez-vous de l’argent, vous ?