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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/72

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Je vous propose de m’envoyer en Vendée pour voir s’il ne serait pas possible d’y organiser une garde nationale qui gardât le pays elle-même, et s’opposât à toute tentative royaliste, dans le cas où cette tentative aurait lieu.

— Et comment croyez-vous possible de faire garder par lui-même un pays royaliste contre une tentative royaliste ?

— Général, lui dis-je, voici peut-être où je commets une erreur, mais écoutez-moi d’abord, car il me semble que ce que je vais vous exposer n’est pas tout à fait dénué de raison ; et ce qui peut, au premier coup d’œil, vous paraître inapplicable, est, cependant, à mon avis, chose sinon facile, du moins possible.

— Allez, je vous écoute.

— La Vendée de 1830 n’est plus celle de 1792 ; la population, composée autrefois de nobles et de métayers seulement, s’est accrue, depuis lors, d’une nouvelle classe sociale qui s’est glissée entre les deux autres : c’est celle des propriétaires de biens nationaux. Quoique cette grande œuvre de la division territoriale, qui était la pensée intime, ou qui fut le résultat des mesures de la Convention, comme vous le voudrez, ait eu plus de peine à s’établir dans le pays dont nous nous occupons, combattue qu’elle a été par la double influence des prêtres et de la noblesse, et surtout par ce terrible dissolvant qu’on appelle la guerre civile, il y a peu de grands propriétaires qui n’aient laissé quelques lambeaux de leur héritage aux mains de la Révolution. Eh bien, général, ces lambeaux ont formé la propriété secondaire, dans laquelle est l’esprit de progrès et de liberté, parce que le progrès et la liberté peuvent seuls lui assurer la tranquille possession de ces biens, que toute contre-révolution remettra en doute. C’est elle, n’avez-vous pas songé quelquefois à cela, général ? c’est cette classe secondaire qui nous envoie, depuis 1815, des députés patriotes ; c’est elle, enfin, qui, joyeuse de la révolution de 1830, parce qu’elle y reconnaîtra, quoique un peu mutilée, la fille de la révolution de 1792 ; c’est elle qui, voyant dans cette révolution une nouvelle consécration de la vente des biens nationaux, doit, par conséquent, soutenir cette ré-