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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/81

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

meurtre de ses deux petits-fils ; j’entrai dans la cour, j’admirai cette enceinte carrée bâtie sous quatre règnes différents, et dont chaque face offre une architecture distincte : l’aile de Louis XII, belle de sa simplicité sévère ; celle de François Ier, avec ses colonnettes surchargées d’ornements, l’escalier d’Henri III, découpé à jour comme une dentelle ; puis — protestant contre le gothique et la renaissance, c’est-à-dire contre l’imagination et contre l’art, — la bâtisse froide et plate de Mansard, devant laquelle le concierge me ramenait sans cesse, s’étonnant que l’on pût regarder, dans cette cour merveilleuse, autre chose que cette merveille !

La rapidité avec laquelle je l’examinai, l’espèce de grimace involontaire qu’imprima sur ma figure ma lèvre inférieure prolongée plus que d’habitude, me valurent, de la part, du brave homme, un sourire de mépris que je ne tardai pas à justifier entièrement en ne voulant pas reconnaître, malgré ses affirmations obstinées, la place où, disait-il, le duc de Guise avait été assassiné. Il est vrai qu’à l’autre bout de l’appartement, je retrouvai, à ne pouvoir m’y tromper, la salle des ordinaires, l’escalier dérobé par lequel le duc de Guise sortit de la salle des États, le corridor qui conduisait à l’oratoire du roi, et tout, jusqu’à la place même où le duc devait être tombé, lorsque Henri III, pâle et priant, souleva sa portière de tapisserie, et dit à voix basse : « Messieurs, tout est-il fait ? « car ce ne fut qu’en ce moment que le roi s’aperçut que le sang coulait à travers le corridor, et que la semelle de ses souliers y trempait ; alors, il s’avança, donna un coup de talon par le visage de ce pauvre mort, — ainsi que le duc de Guise en avait donné un à l’amiral, le soir de la Saint-Barthélemy ; — puis il se dit, en reculant comme effrayé de son courage : « Mon Dieu, Seigneur ! qu’il est grand ! il paraît plus grand encore couché que debout, mort que vivant[1]  ! »

Pendant que je me rappelais, ces choses, le concierge,

  1. Je dois dire, à mon honneur, que de nouvelles recherches archéologiques m’ont donné complètement raison sur le concierge du château de Blois.