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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/108

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

3 mai ; je n’avais donc plus que deux répétitions avant le grand jour. Les répétitions précédentes avaient été fort négligées par moi : je fis les deux dernières avec une extrême sévérité.

Arrivée à la phrase qui l’avait si longtemps inquiétée, madame Dorval se tint parole à elle-même : elle était debout, elle se laissa tomber sur un fauteuil, comme si la terre eût manqué sous ses pieds et s’écria : « Mais je suis perdue, moi ! » avec un tel accent de terreur, que le peu de personnes qui assistaient à la répétition éclatèrent en bravos.

La dernière répétition générale se fit à huis clos. C’est toujours un tort d’introduire même ses amis les plus sûrs à une répétition générale : le jour de la représentation, ils racontent la pièce à leurs voisins ou se promènent dans les corridors en parlant à haute voix, et en faisant craquer leurs bottes sur le parquet.

Je ne me suis jamais beaucoup loué d’avoir donné des billets de spectacle à mes amis, un jour de première représentation ; mais je me suis toujours repenti de leur avoir donné des billets d’entrée un jour de répétition générale.

On objectera les bons conseils que les spectateurs peuvent donner : d’abord, aux répétitions générales, il est trop tard pour recevoir un conseil important ; puis, les bons conseils, ceux qui les donnent, ce sont, dans le cours des répétitions, les acteurs, les pompiers, les machinistes, les comparses, tout ce monde enfin qui vit du théâtre, et qui sait le théâtre mieux que tous les bacheliers ès lettres et tous les académiciens possibles.

Eh bien, tout ce monde-là m’avait prédit le succès d’Antony, machinistes et pompiers en allongeant le cou à travers les coulisses, artistes et comparses en allant écouter dans la salle les scènes où ils ne figuraient pas.

Le soir de la première représentation arriva.