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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/110

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’avais recommandé de faire les entr’actes courts. Je passai au théâtre pour presser moi-même artistes, régisseurs et machinistes. Au bout de cinq minutes, avant que l’émotion eût eu le temps de se calmer, la toile se leva de nouveau.

Le second acte était tout entier à Bocage. Il s’en empara avec vigueur, mais sans égoïsme, laissant à Dorval tout ce qu’elle avait le droit d’y prendre, et s’élevant à une très-grande hauteur dans sa scène de misanthropie amère et de menace amoureuse, scène qui, au reste, — à part celle des enfants trouvés, — tient à peu près tout l’acte.

Je le répète, Bocage y fut très beau : intelligence d’esprit, noblesse de cœur, expression de visage, le type d’Antony tel que je l’avais conçu était livré au public.

Après l’acte, et tandis que la salle applaudissait encore, je montai le féliciter de grand cœur. Il était rayonnant d’enthousiasme et d’espoir, et Dorval lui disait, avec la franchise de son génie, combien elle était contente de lui. Dorval ne craignait rien : elle savait que le quatrième et le cinquième acte étaient à elle, et elle attendait tranquillement son tour.

La salle, à ma rentrée, était frémissante ; on y sentait cette atmosphère imprégnée d’émotions qui fait les grands succès. Je commençais à croire que j’avais eu raison contre tout le monde, même contre mon directeur. J’excepte Alfred de Vigny, qui m’avait prédit un succès.

On connaît le troisième acte, tout d’action, et d’action brutale ; il avait, du côté de la violence, un certain rapport avec le troisième acte d’Henri III, où le duc de Guise broie le poignet de sa femme pour la forcer de donner à Saint-Mégrin un rendez-vous de son écriture.

Heureusement, le troisième, acte du Théâtre-Français, ayant réussi, faisait planche à celui de la Porte-Saint-Martin.

Antony, poursuivant Adèle, arrive le premier dans une auberge de village, s’empare de tous les chevaux de poste, pour obliger Adèle à s’y arrêter, choisit, dans les deux seules chambres de l’hôtellerie, celle qui lui convient, se ménage par le balcon une entrée dans celle d’Adèle, et se retire au bruit de la voiture de celle-ci.