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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/119

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Dorval, toujours bonne fille, reprit sur son fauteuil sa pose de femme tuée, et l’on se mit à courir après Antony.

Mais Antony était rentré dans sa loge, furieux qu’on lui eût fait manquer son effet de la fin, et, retiré sous sa tente comme Achille, comme Achille il refusa obstinément d’en sortir.

Pendant ce temps, le public applaudissait, criait, appelait : « Bocage ! Dorval !… Dorval ! Bocage ! » et menaçait de briser les banquettes.

Le régisseur leva la toile, espérant que Bocage, mis au pied du mur, serait forcé d’entrer en scène.

Bocage envoya promener le régisseur.

Cependant, Dorval attendait sur son fauteuil, le bras pendant, la tête renversée en arrière.

Le public aussi attendait. Le plus profond silence s’était fait ; mais, une minute écoulée, comme il vit que Bocage n’entrait pas en scène, il se mit à applaudir, à appeler, à crier de plus belle.

Dorval sentit que l’atmosphère tournait à la bourrasque ; elle ranima son bras inerte, redressa sa tête renversée, se leva, s’avança jusqu’à la rampe, et, au milieu du silence, ramené comme par miracle au premier mouvement qu’elle avait risqué :

— Messieurs, dit-elle, je lui résistais, il m’a assassinée !

Puis elle tira une belle révérence, et sortit de scène, saluée par un tonnerre d’applaudissements.

La toile tomba, et les spectateurs se retirèrent enchantés. Ils avaient leur dénoûment, avec une variante, c’est vrai ; mais cette variante était si spirituelle, qu’il eût fallu avoir un bien mauvais caractère pour ne pas la préférer à la version originale.