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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/122

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Malheur, malheur à moi, que le ciel, en ce monde,
A jeté comme un hôte à ses lois étranger !
À moi qui ne sais pas dans ma douleur profonde
Souffrir longtemps sans me venger !

Malheur ! car une voix qui n’a rien de la terre
M’a dit : « Pour ton bonheur, c’est sa mort qu’il te faut ! »
Et cette voix m’a fait comprendre le mystère
Et du meurtre et de l’échafaud…

Viens donc, ange du mal, dont la voix me convie,
Car il est des instants où, si je te voyais,
Je pourrais, pour son sang, t’abandonner ma vie.
Et mon âme… si j’y croyais !

Que dites-vous de ces vers ? Ils sont impies, blasphémateurs, athées, et — en vérité, je le proclame en les transcrivant près d’un quart de siècle après les avoir faits, — trop médiocres pour être excusables s’ils avaient été écrits à froid. Mais ils ont été écrits dans un moment de passion, dans un de ces moments où l’on éprouve le besoin de crier sa douleur, de dire ce que l’on souffre dans une autre langue que la langue vulgaire. C’est ce qui leur vaudra, j’espère, le double pardon des poëtes et des philosophes.

Maintenant, Antony était-il, en réalité, une œuvre aussi immorale qu’affectèrent de le dire certains journaux ?

Non ; car, en toutes choses, dit un vieux proverbe français, — et, depuis Sancho Pança, on sait que les proverbes sont la sagesse des nations, — car, en toutes choses, il faut considérer la fin.

Or, la fin d’Antony, la voici :

Antony, engagé dans une intrigue coupable, emporté par une passion adultère, tue sa maîtresse pour sauver l’honneur de la femme et s’en va mourir sur un échafaud, ou tout au moins traîner le boulet au bagne.

Eh bien, je vous le demande ; y a-t-il beaucoup de femmes de la société, y a-t-il beaucoup de jeunes gens du monde qui soient disposés à se jeter dans une intrigue coupable, à enta-