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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/138

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous nous étions vus plusieurs fois, et, d’ailleurs, nous nous connaissions, lui et moi : lui, parce qu’il s’appelait Thiers, moi parce que je m’appelais Dumas.

— Mon cher poëte, avez-vous remarqué une chose ? me-demanda-t-il.

— Laquelle, mon cher historien ?

— C’est que le Théâtre-Français va à tous les diables !

— Vous me donnez cela comme une nouvelle ?

— Non, je vous donne cela comme un malheur.

— Peuh !…

— À votre avis, qu’y a-t-il à faire du Théâtre-Français ?

— Ce qu’on fait d’un vieux bâtiment, un ponton.

— Bon ! croyez-vous donc qu’il ne puisse plus tenir la mer ?


— Oh ! si fait ! avec une carène nouvelle, des voiles neuves et un autre équipage.

— Eh bien, c’est mon avis… Il me fait l’effet du cheval que, dans sa folie, Roland traîne par la bride : il a toutes les qualités du cheval ; seulement, toutes ces qualités sont paralysées par un petit malheur : il est mort !

— C’est justement cela.

— Eh bien, Hugo et vous avez eu de grands succès à la Porte-Saint-Martin ; j’ai envie de faire du Théâtre-Français ce qu’on fait du Musée : l’ouvrir le dimanche pour qu’on puisse venir y étudier les auteurs morts, et réserver tout le reste de la semaine aux auteurs vivants, et particulièrement à Hugo et à vous.

— Eh bien, mon cher historien, voilà la première fois que j’entends un ministre de l’intérieur dire quelque chose de sensé sur une question d’art. Permettez que je voie l’heure de la journée et la date du mois ; je porterai cela en note… Bon ! 15 mars 1834, à sept heures du matin.

— Maintenant, que voulez-vous, pour nous faire une comédie, une tragédie ou un drame en cinq actes, au Théâtre-Français ?

— Mais je voudrais d’abord des acteurs qui jouassent le drame : madame Dorval, Bocage, Frédérick.