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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/137

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CCII


Thermomètre des crises sociales. — Entrevue, avec M. Thiers. — Ce qu’il veut faire pour le Théâtre-Français. — Nos conventions. — Antony revient à la rue de Richelieu. — Le Constitutionnel. — Son premier-Paris contre le romantisme en général, et contre mon drame en particulier. — La moralité du théâtre antique. — Parallèle entre le Théâtre-Français et celui de la Porte-Saint-Martin. — Première suspension d’Antony.

Le chapitre précédent finit par ces mots : « Et la suspension d’Antony. »

Laquelle suspension ? demandera peut-être le lecteur : est-ce celle que décréta M. Thiers ? est-ce celle que confirma Duchâtel ? est-ce celle que vient d’ordonner M. de Persigny ?

Antony, comme l’a très-bien dit M. Lesur, est un monstre ; ce monstre s’est produit dans un de ces moments de dévergondage et de la société qui suivent les révolutions, et où cette morale institution qu’on appelle la censure n’a pas encore eu le temps de s’établir et de fonctionner, de sorte que, toutes les fois que la société ébranlée chancelle sur sa base, on joue Antony ; mais, toutes les fois que la société est sauvée ; que la bourse monte, que la morale triomphe, on supprime Antony.

J’avais profité du moment où la société avait la tête en bas et les jambes en l’air pour faire jouer Antony, et j’avais bien fait ; sans quoi, le gouvernement moral qui fut crucifié entre le procès Cubières et l’assassinat Praslin n’en eût certes pas permis la représentation.

Mais, enfin, Antony avait été joué cent trente fois ; Antony avait droit de bourgeoisie ; il avait fait son effet, produit le mal qu’il devait produire, et l’on n’avait pas de raison de s’en inquiéter, lorsque M. Thiers me fit venir un matin au ministère de l’intérieur.

C’est un homme charmant que M. Thiers ; je connais peu de conteurs plus agréables, et peu d’écouteurs aussi intelligents.